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Analepse, le blog littéraire de Laurent Gardeux
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Par là (série Street Photography)

31 Janvier 2012 , Rédigé par analepse

 

C’est par là, viens. C’est un peu plus loin. Nous pouvons marcher, non ? Quelques rues, plus que quelques rues. J’aime ça, marcher dans les rues, pas toi ? Surtout à cette heure-ci, l’alternance de l’ombre et du soleil, dessinée par les immeubles qui découpent leurs ombres gigantesques. La chaleur torride qui te prend la peau en une seconde, et le soulagement du passage à l’ombre, et l’appréhension de la prochaine zone ensoleillée. C’est un peu plus loin, viens. Ne fais pas attention à ceux qui nous regardent depuis leur balcon, il y a bien longtemps que je ne m’occupe plus d’eux. Je marche, je te demande de me suivre, mais au fond je ne suis pas si sûre que tu vas aimer ce que je veux te montrer. Je suis emportée, je le sais, et je voudrais que tu aimes ce que j’aime, et je voudrais que tu me suives jusqu’à cette chose que je veux te montrer pour que tu l’aimes à ton tour, et plus nous avançons, plus je doute que tu l’aimes en fin de compte. Mais j’avance pourtant, et comme pour les alternances de zones ensoleillées et ombragées, je me reprends à croire que tu vas aimer, finalement. Ce n’est plus qu’à quelques rues d’ici. Comment se fait-il que je ne me lasse jamais de marcher ? Comment se fait-il que je puisse imaginer un instant qu’il en va de même pour le reste du monde, qu’il en va de même pour toi ? Je sens que tu marches derrière, non parce que tu ne sais pas quelle rue prendre au prochain coin, non comme une enfant que traîne sa mère et qui ignore tout de sa destination, mais comme si le fait de marcher derrière suffisait à te protéger par une opération secrète de m’avoir accompagnée, te protéger de ce que tu vas trouver dans quelques rues maintenant. Je vois ton ombre qui me suit, je vois ton pas presque mécanique, comme si tu avais délégué le soin de marcher encore derrière moi à des réflexes longuement acquis, comme si tu voulais t’absenter de ta marche. Je sens cela, ne va pas croire que je ne le sente pas. J’ai trop marché dans ces rues, j’ai trop marché dans le soleil et l’ombre pour ne pas le sentir. Cela ne fait rien si tu n’aimes pas, je veux juste te montrer. C’est encore un peu plus loin, pas assez loin pour que tu puisses invoquer la fatigue pour cesser de m’accompagner, à peine quelques rues maintenant. C’est par là, viens. C’est drôle, ton ombre qui danse près de moi, on aurait cru que le soleil allait passer à travers tes cheveux, mais voilà qu’ils laissent une découpe presqu’aussi précise que celles que laissent les immeubles sur notre chemin. Et à cette heure sourde qui ne laisse personne dans les rues que nous deux et les chiens errants qui disparaissent dans les ombres, à cette heure qui ne laisse à leur balcon que ceux-là qui nous regardent passer, et dont j’ai appris à ne plus m’occuper, je voudrais que tu avances encore une rue ou deux, par là, plus très loin. Encore une rue ou deux, et nous y serons. Encore une rue, et nous y sommes.

 

A partir d’une photographie de Michael Penn : Philadelphia 15, juin 2010

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Série Street Photography

31 Janvier 2012 , Rédigé par analepse

 

 

Le principe est simple : choisir une photo pour l’univers qu’elle semble receler, ou la scène quelconque qu’elle représente. Ecarter résolument les photos qui s’en tiennent à l’anecdote.

Puis me laisser aller, le plus librement du monde, à un exercice d’écriture au format plus ou moins imposé (3000 signes, soit environ 2 pages).

L’idée est aussi de me lancer dès que j’ai trouvé la première phrase, ou l’angle d’attaque, et de me livrer à une sorte d’improvisation. Puis, en cours d’écriture, de tout m’autoriser, de me laisser aller où l’envie me mène, comme un touriste qui arpente une ville au hasard et laisse ses pas le porter dans une ruelle où quelque chose d’indéfinissable a attiré son œil.

Il n’y a pas lieu de publier ces textes avec les photos qui leur ont servi de point de départ, si ce n’est pour mettre en valeur la manière dont ils s’en sont éloignés.

Certains feront peut-être l’objet d’une sorte de commentaire, pour expliquer ce qui les a fait naître.

On peut lire ces textes comme des extraits d’un livre qu’on aurait pris en cours. Aussi est-il vain de vouloir leur chercher un sens trop précis, d’autant qu’ils n’en présentent pas forcément de plus précis pour l’auteur lui-même. Il s’agit plus pour moi de me laisser surprendre par ce qui advient. Cela implique en particulier une certaine rapidité d’exécution. Ce qui m’intéresse c’est de créer de petites formes porteuses d’idées de style. Sans chercher spécialement à ce que les textes renvoient l’un à l’autre, sans chercher à établir un jeu de miroir entre eux. L’enjeu est donc la liberté, à l’opposé du travail du roman où la question de l’unité stylistique se pose de manière plus pressante ; de faire l’expérience de nombreuses directions d’écriture, pour finir par dégager ce qu’est mon écriture propre, dans son ouverture la plus large.

Ces textes participent donc aussi pour moi d’une sorte d’hygiène de l’écrivain. Je m’astreins à en livrer un tous les deux jours, sans m’autoriser à sélectionner d’avance une photographie. Le choix de la photo se fait parce que la fameuse première phrase nait alors que je la regarde. Ensuite tout doit aller très vite. Cette immédiateté me semble garantir un tant soit peu d’échapper au piège du systématisme. C’est en tous cas dans l’esprit d’un renouvellement continuel, d’une sorte de flux constant que j’effectue ce travail.

C’est donc aussi tout naturellement que j’ai adopté la forme du blog, le matériau étant sensé se renouveler très rapidement.

Je souhaite que vous trouviez à lire ces textes postés en ayant à peine été relus un plaisir comparable à celui que j’ai eu ou que j’aurai en les écrivant.

 

Pour découvrir une autre facette de mon activité d’auteur, je vous invite à visiter mon site : www.analepse.fr

 

Bon voyage. N’oubliez pas de vous perdre.

 

Laurent Gardeux

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