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Analepse, le blog littéraire de Laurent Gardeux

Lendemain (Série Street Photography)

25 Mars 2012 , Rédigé par Analepse

La fête bat encore son plein, malgré l’heure matinale, dans le restaurant que nous venons de quitter. Et nous nous retrouvons, Eva et moi, au petit matin sur le parking. Même si je n’en ai pas parlé avec elle, j’ai bien senti qu’elle avait été sensible comme moi à l’incongruité de nous retrouver en tenue de soirée sur le parking, et quand nous avons commencé à marcher l’effet était plus dépaysant encore, elle avec son pantalon blanc, son chemisier blanc, son sac à main blanc, et sa coiffure de blonde décolorée qui commençait à s’effondrer ; et moi dans mon costume que j’oublie de faire reprendre d’une fête sur l’autre depuis trente ans, de sorte que je ne me souviens qu’en l’enfilant qu’il est mal ajusté, trop grand, que j’aurais dû le faire reprendre, et que je me promets de le faire pour la prochaine fête.

 

C’est Pavel qui a voulu partir. Je serais bien restée, moi. Je m’amusais bien à la fête, pour une fois. Et naturellement le bus ne passe pas, il est bien trop tôt, il s’en faut encore bien d’une heure au moins qu’il ne passe. Nous voilà tous les deux sur le parking, et je me sens absurdement obligée de suivre Pavel qui s’est engagé sur la route, comme si par sa seule présence il avait le pouvoir d’avancer l’heure de passage du bus. Et j’ai froid. Je n’ai pas voulu prendre de manteau, je pensais qu’on nous raccompagnerait, mais les autres s’amusent encore malgré l’heure matinale ou tardive, c’est selon, et naturellement personne n’a voulu s’absenter de la fête pour nous raccompagner en voiture. Je ne suis pas assez couverte, et j’ai froid, merde. Pavel doit avoir froid lui aussi. Il faudra que je lui dise un de ces jours que son costume est trop grand pour lui, il faudrait qu’il cesse de s’obstiner à le porter à toutes les occasions, il faudrait qu’il aille le faire reprendre.

 

Eva me suit mollement tandis que je m’engage sur la route. Pas une voiture ne passe, et pas de bus non plus. Tant qu’à être incongru, déplacé, autant se tenir au milieu de la route, qu’est-ce qu’on risque ? L’air frais du matin commence à me dégriser, et je commence à regretter d’avoir quitté la fête si vite. J’hésite à allumer ma dernière cigarette et finalement me décide. A la fin de la cigarette, le bus devrait apparaître. A moins que le seul fait de l’allumer le fasse apparaître, c’est comme une loi cosmique, écrite je ne sais où, selon laquelle il suffit que j’allume une cigarette pour aussitôt devoir l’éteindre. En tous les cas c’est la dernière.

 

N’importe qui aurait rangé le paquet de cigarettes vide dans sa poche, ou serait retourné le mettre dans la poubelle du parking, mais Pavel le froisse et le jette au milieu de la route. Dérisoire tache rouge et blanche sur le gris du bitume. Dérisoire attente au milieu de la route, dans nos tenues de soirées dérisoires. Il a presque fini sa cigarette, et pas de bus à l’horizon. Dans le silence du matin on perçoit encore les éclats assourdis de la fête. Pavel ne regarde même plus dans la direction d’où devrait arriver le bus. Il jette sa cigarette, le regard fixe. Et maintenant ?

 

A partir d’une photographie de George Georgiou, extraite de la série The Shadow Of A Bear : Georgia.

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