Hommage à Seydina Insa Wade
Ayo, ayo, ayo néné…
C’est sans doute le souvenir le plus fort que je garderai de Seydina Insa Wade : la première chanson que notre fils Sajan, âgé d’un jour, a entendue depuis son berceau, c’était cette berceuse, que Sidi était venu lui chanter à l’hôpital où il était né. On veut croire que quelque part au fond de lui notre fils conserve une trace de ces quelques notes, de ces paroles en wolof ; que quelque part résonne en lui, de cette manière mystérieuse dont résonne en chacun d’entre nous toute musique importante, toute musique véritablement écoutée, cette petite mélodie.
J’ai d’autres souvenirs de Seydina : cette émission de télé, Le Cercle de Minuit, pour laquelle il m’avait appelé le soir en catastrophe pour un passage en direct le soir même, car Hélène Billard, qui a tant joué avec lui et tant compté pour lui, était en province ce jour-là et ne pouvait assurer l’émission. Une chanson dont j’avais dû mémoriser la partie de violoncelle dans la loge, pour la jouer une heure plus tard devant les caméras. Mais c’est surtout de la séance de maquillage avant l’émission que je me souviens : il y avait là Jean d’Ormesson, et un historien auteur d’une monumentale histoire du socialisme. Pendant que les maquilleuses s’affairaient autour des trois hommes, Sidi leur avait demandé qui ils étaient. Il ne connaissait pas Jean d’Ormesson. Pourquoi d’ailleurs aurait-il connu Jean d’Ormesson ? A leur tour, courtoisement, ils lui avaient demandé qui il était. Je n’oublierai jamais leur visage à la réponse de Sidi, prononcée avec son zézaiement habituel : « Moi z’écris des poèmes en me promenant sur la plaze. Et puis les poèmes deviennent des sansons, ze les zoue sur ma guitare ». Inoubliable irruption d’une incroyable forme de pureté artistique dans la cour de ceux qui maîtrisent tout, le langage, l’expression, les usages du monde… mais qui paraissaient bien démunis, là, sur leurs fauteuils, avec au cou la petite serviette en papier que s’apprêtait à leur retirer la maquilleuse, sa dose de mensonge appliquée sur leur peau.
Et puis il y a eu le New Morning, avec certains morceaux mis au point dans la loge juste avant de jouer, à l’entracte. Elf la Pompe Afrique, de Nicolas Lambert, et cette mise en place furtive dans le noir, pour permettre le temps d’une chanson à Nicolas de se changer et de souffler un peu entre deux parties de son impressionnant spectacle. Souvenir des regards échangés dans le silence, en coulisses, juste avant l’entrée sur scène, pour se mettre en phase, accorder notre musique intérieure et nos émotions. Quelques autres concerts encore... Pas assez.
Repose en paix Seydina.
Seydina Insa Wade (Dakar 1948 – Dakar 2012). Poète, musicien, chanteur.