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Analepse, le blog littéraire de Laurent Gardeux

Plantation (Série Street Photography)

21 Mars 2012 , Rédigé par Analepse

Cela finira bien par pousser. Au début je n’y croyais pas trop. Pas assez de lumière. Et l’eau arrive de manière inégale, et la terre, la terre ne semble pas très riche, on dirait du sable qu’on aurait aggloméré pour lui donner une certaine compacité. Et puis, même si cela peut semble absurde, je me suis demandé si le bruit des voitures qui passent au-dessus sur la double rocade, en un flot continuel qui ne cesse même pas la nuit était bien propice à faire pousser quoi que ce soit. Peut-être que le bruit des voitures gêne les plantes ? Je ne parviens toujours pas à répondre à cette question de manière tranchée, mais en tous cas il faut bien reconnaître que j’ai éprouvé un certain plaisir à retourner la terre. J’ai eu du mal au début, je n’avais pas d’outil, et c’est un morceau de barrière de sécurité de l’autoroute qui m’a servi et de pelle et de pioche, et qui a dû tomber de la rocade au-dessus. Je me suis esquinté les mains, ce n’est pas pour rien que pelles et pioches sont pourvues de manches. Mais j’ai pu creuser assez pour pouvoir semer les graines que j’avais recueillies sur les plantes dans le terrain vague. Personne ne viendra me déranger par ici, car personne ne passe par ici, il n’y a pas assez de lumière, pas assez d’eau, et le vaste espace sous la double rocade est battu par les courants d’air qui apportent souvent des odeurs d’essence. Et puis il y a le bruit continuel du flot de voitures, et il n’y a bien que moi pour venir faire des plantations ici, pour rester à les veiller, jour et nuit, en attendant de voir ce qui va pousser. J’ai fini par m’allonger par terre, comme si j’allais pouvoir entendre la rumeur lointaine des plantes qui poussent, avec le vacarme incessant des voitures qui passent. J’ai trouvé une sorte de natte que j’ai étendue à même le sol, et je reste allongé sur le dos la plupart du temps. Je regarde les dalles de béton de la double rocade, au-dessus de moi. Et comme je ne sais quoi faire de cette attente je regarde aussi les oiseaux qui sont venus nicher sous les dalles, sous les vastes poutres de béton qui soutiennent la double rocade. Je les surveille du coin de l’œil, au cas où il leur prendrait l’envie de venir picorer les graines que je ne suis pas parvenu à enfouir très profond, car je suis vite tombé en creusant sur une espèce de bâche goudronnée, que je n’ai pas osé crever pour atteindre la terre qui est au-dessous, plus profond. C’est pourquoi il faut que je reste ici allongé, pour surveiller les plantations, et quand les premières pousses apparaîtront, elles me trouveront là à veiller, et les oiseaux à ce moment auront fini par se lasser, auront fini par comprendre que je resterai là, à veiller, auront fini par comprendre qu’ils ne sont pas de taille.

 

A partir d’une photographie d’Adrian Fisk : New Motorway, Dehli, India.

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