Pause N° 1
Certains lecteurs de ce blog déplorent l’absence des photos. Cette absence est bien entendu volontaire. Examinons la question.
En premier lieu, ce n’est pas un blog sur la photo, qui la commenterait en s’intéressant à tout ce qui fait sa puissance : le cadrage, la pertinence, la qualité des contrastes, l’œil du photographe, ou le fait qu’il se soit trouvé là au bon moment. Il s’agit pour moi de points de départ de fictions, dont il m’importe au fond assez peu de savoir ce qui déclenche réellement l’écriture. Dans la photo Kaliningrad, de Jens Olof Lasthein, assez étonnante en termes de fictions possibles (qui sont ces personnages, que font-ils ?), c’est le regard de la fille qui est portée comme un sac de pommes de terre qui a déclenché le travail d’écriture pour mon texte Je suis (à paraître bientôt sur le blog). L’idée du procédé d’écriture m’est venue presque immédiatement, mais ensuite, je n’ai plus éprouvé le moindre besoin de me référer à la photo, dont finalement je ne me suis servi quasiment d’aucun élément. Pour ceux qui veulent néanmoins à tout prix interroger le rapport entre mes textes et les photos qui les ont fait naître, je fournis pour chaque texte les références des photos, et il est relativement simple de les retrouver sur la toile. Elle y sont bien suffisamment à distance de mon travail… mais en seraient trop proches à mon goût si elles figuraient en regard des textes.
C’est moins vrai pour Spray. C’est d’ailleurs le premier texte que j’ai écrit, et l’idée était à ce moment-là de me demander ce qui se passait dans la tête du personnage photographié… Mais finalement ce n’est pas ce que j’ai fait : on ne sait toujours rien de ce qui se passe dans la tête de ce type, et j’ai introduit un personnage qui n’existe pas dans la photo, et qui n’est pas non plus le photographe.
Dans mon approche de la création littéraire, je ne pars jamais d’un thème à explorer, mais d’un déclencheur qui me propulse dans le monde des mots. Ainsi, pour mes textes de chanson pour les Gens du Phare, je pars souvent d’une expression, parfois d’un mot, qui me frappe au moment où je la lis, et me semble très confusément porteuse d’une chanson possible.
Je suis (comme musicien également) très attaché à l’idée d’improvisation. Et c’est bien à des improvisations que je me livre, dont la photo est le point de départ, de même qu’on pourrait fixer une contrainte à un improvisateur, comme par exemple de jouer une grille de jazz en n’utilisant que les tierces et les septièmes des accords, comme me le faisait faire Michael Felberbaum quand je prenais des cours de guitare jazz avec lui (mais pourquoi ai-je arrêté ?!).
D’une certaine manière, je découvre cette série Street Photography en même temps que mes lecteurs, et le laps de temps qui a séparé l’écriture du premier texte de la série et la mise en ligne du blog est de moins d’un mois. Et mon idée, avant d’avoir celle de créer le blog, était avant tout de me contraindre à produire très rapidement des textes relativement courts mais le plus aboutis possible, avec certaines contraintes (mais pas systématiquement), comme de m’adosser au style de certains auteurs : j’ai écrit le texte Il pleut (à paraître) en pensant — d’une certaine manière en visant — le style de Gao Xingjian dans Le roman d’un homme seul. D’autres sont plus proches de l’écriture d’un Paul Auster. Certains auteurs américains sont très puissamment présents dans mes références : Thomas Pynchon, Don de Lillo. Travailler à saisir ce que saisit De Lillo dans son écriture est pour moi une forme d’idéal littéraire. Et, pour en revenir à la série Street Photography, quelle meilleure entrée pour ce type de travail que la photographie ?
Donc je vais continuer à ne pas mettre les photos sur mon blog (à part certaines peut-être), pour également une autre raison : au lecteur d’essayer d’imaginer, d’inventer la photo qui a servi (ou qui aurait pu servir) de point de départ. Et l’idéal serait, pourquoi pas, qu’il la décrive dans le commentaire qu’il laissera sur le blog ?